Travail – productivité (partie 1)
Considérations pratico-esthétiques
J’ai décidé de faire simple en ce qui concerne le titre des entrées de ce blogue : sujet général – sujet particulier. C’est peut-être peu intepellant, mais ça a le mérite de m’éviter de passer trop de temps à trouver une formule qui reviendrait à dire la même affaire, moins efficacement.
Ce blogue assumera aussi une certaine part de laideur. Je n’ai pas les compétences ni l’énergie pour mettre ça beau. De toute manière, c’est sur le texte que je souhaite que tu portes ton attention.
Et il se peut qu’il y ait des coquilles. Je me relis pis toute, mais ça se peut que j’en échappe. Si c’est le cas, tu peux me le dire. Ou pas.
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Sur le moment
C’est samedi matin. Hier, le déluge.
Je me suis levée et à peine ma deuxième gorgée de café avalée, le son strident d’une scie a commencé à se faire entendre dans l’appartement sous le mien. Ce sera sans doute le bruit de fond d'une partie de l’avant-midi. Il importe de savoir que ce bruit de fond dure depuis janvier 2022 dans mon immeuble. Mon immeuble dont tous les murs, plafonds, planchers sont en béton, béton qu’on jette à terre dès qu’on le peut afin de faire des « appartements au goût du jour » en s’appliquant à retirer tout le cachet possible (et je te jure qu’il y en avait). J’y reviendrai fort probablement. Le bruit, ça épuise sur un moyen temps. La peur de perdre son chesoi, aussi.
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Ça m’a frappée, la semaine dernière avec l’arrivée des courriels de l’école, la reprise de l’horaire normale qui n’est qu’à quelques jours (activités parascolaires, devoirs, lunchs, etc.) et le retour au travail : je ne suis pas prête à ce que ma tête se fragmente à nouveau en autant de morceaux qu’il y a de tâches à faire, à prévoir, à coordonner. Je la sens qui résiste à vouloir rester en un seul bloc. J’ai quand même passé l’été à y travailler, à essayer de diminuer les stimulations, ce qui draine mon attention; à trouver ce qui m’apaise. Dans l’espoir de pouvoir appliquer tout cela dans le feu roulant de « la vie ».
J’ai passé l’été à chercher comment mieux travailler et mieux être. Ça en dit beaucoup sur la personne que je suis et mon rapport aux vacances, aux temps d’arrêt. J’y reviendrai, aussi. C’est un peu tous ces essais à tâtons qui m’ont redonné le goût de bloguer. Je ne vais pas tout te spoiler aujourd'hui.
Comment s’en sortir – réorganiser sa manière de travailler
Je viens de terminer le livre Slow productivity – The Lost Art of Accomplishment Without Burnout (Penguin, 2024) de Cal Newport. Je l’avais entendu en parler dans l'épisode du 5 mars 2024 du podcast Work Life d’Adam Grant (que j’aime beaucoup) et j’étais curieuse de voir ce que je pouvais en apprendre.
Je l’ai lu, l’ai annoté. Je suis encore dans la phase où je synthétise ce qui est important, mais je voulais te présenter l’essentiel de son propos et où j’en suis dans « l’application ».
En résumé
Newport considère que l’un des principaux enjeux auquel nous faisons face est la croyance que le travail productif (« good work ») est celui qui exige de nous d’être constamment en mouvement, occupé.e.s, et ce, de manière très visible : répondre rapidement aux courriels, avoir beaucoup de réunions, plus de tâches, etc. C’est ce qu’il appelle la pseudo-productivité : « The use of visible activity as the primary means of approximating actual productive effort.” (p.22). Associée à la vie numérique qui est désormais la nôtre, cette manière de percevoir et d’agir le travail alimente notre sentiment de surcharge et contribue à fragiliser notre attention. Et notre capacité à « vraiment travailler ».
Sa solution réside dans le concept de slow productivity : une manière de concevoir et d’organiser le travail de manière à ce qu’il soit une source de sens plutôt que de « trop-plein » (« overwhelm ») et ce, sans sacrifier la qualité et la valeur de ce qui est produit.
Et pour se faire, l’auteur nous invite à suivre trois principes :
- Faire moins de choses (do fewer things)
- Travailler à un rythme qui nous soit naturel (work at a natural pace)
- Être obsédé.e.s par la qualité (Obsess over quality)
Je me suis forcée à te résumer ça dans ses mots (traduction maison très libre), mais dans les miens, en gros, ce qu’il veut dire c’est qu’être productif/productive, ça veut pas dire de se disperser dans mille tâches dont plusieurs ont pour fonction de montrer qu’on travaille. Notre cerveau n’est pas aussi compétent qu’on le pense sous l’effet du stress. Au fil des pages, en fait, j'ai réalisé qu'il nous invite à surtout prendre soin de notre attention.
Pourquoi ça me parle
- Je crois que j’ai aimé revisiter l’aspect conceptuel des notions de « performance » et de « productivité » - c’est difficile, changer des habitudes ou des manières de faire si on ne s’attaque pas, aussi, aux définitions/perceptions qui les soutiennent.
- À la fin d’À boutte, je dis qu’il faut chercher l’apaisement en se réconciliant avec la notion de fatigue. C’est pas faux, mais comment je dirais ça… je pense que j’avais besoin de cette conclusion-là, à ce moment-là, qu’elle est le point de départ, peut-être, du processus pour essayer de l’atténuer. Je ne voulais pas devoir « faire des choix », mais force est de constater que je n’ai pas le choix d’en faire si je souhaite vivre bien, vivre mieux. Newport m’a amenée sur ce chemin que je ne voulais pas fréquenter (tudum tsss).
- Il donne des trucs accessibles qui ne me demandent pas de tout réinventer d’un coup. Ça l’air moins « trop gros ».
- Il parle de « containing the overhead tax of tasks” et j’aspire à en faire le slogan de mes journées.
Comment ça s'applique
Cette partie sera en plusieurs sections au fil des textes de ce blogue parce que « processus ».
« Faire moins de choses » - je vais être honnête, même si c’est ce que je souhaite, ça m’angoisse un peu parce que j’aime faire plein de choses. Au fil des années, j’ai développé une façon de travailler pour déjouer ma tendance à la procrastination (autre sujet dont j’ai hâte de te parler) et mes enjeux d’attention qui me conduisent notamment à papillonner d’une affaire à l’autre. Je me fais alors croire que je fais du multitasking et que tout va bien. Mais pas tant.
La première proposition de Newport est de limiter nos « missions » (nos buts ou tâches principales) à deux ou trois. Par exemple, sur la feuille de papier quadrillée que j’ai prise pour la portion « application » de ma lecture, j’ai écrit : écrire, enseigner, donner des conférences. Ce sont les zone d’activités vers lesquelles on souhaite que notre attention soit dirigée. Facile-facile.
Ensuite, il nous invite à limiter les projets dans lesquels on s’engage. Moins facile-facile.
Concrètement, il faut s’assurer qu’un nouveau projet puisse s’inscrire pour de vrai dans le temps réel dont on dispose. Avant de l’accepter, ça signifie d’évaluer le temps qu’il va prendre (et sans doute faire fois deux) et bloquer ce temps dans notre agenda (en n’oubliant pas d’inclure toutes les micro-tâches et échanges de courriels qu’il risque d’impliquer). Pour l’instant, j’ai surtout refusé des propositions dans les dernières semaines et je sais que ce sera un défi : j’évalue mal le temps. Ça fonctionnait bien si je coupais sur le sommeil, les repas, le sport, les activités ludiques. Mais comme j’essaie de faire une place durable à ces aspects dans mon quotidien, va falloir que je fasse mieux que de demander à mon meilleur ami si « faire X » est une bonne idée (il dit toujours « non » et je l‘écoute jamais).
Newport dit aussi de ne travailler que sur un projet par jour. Jusqu’à présent, je n’y arrive pas. Du tout. C’est que je dois entraîner ma capacité d’attention, en parallèle. Et que ça fait… 27 ans que je travaille en rebondissant d’une fenêtre Word à une autre. J’ai espoir.
Les conseils qui me parlent le plus jusqu’à présent sont liées à l’organisation concrète des tâches afin de parvenir à pouvoir se concentrer sur ce qui est essentiel, le « vrai » travail, celui qu’on ne parvient pas toujours à faire au bureau parce qu’on y est constamment dérangé.e et qui fait en sorte qu’on doit faire du pré-travail (dans mon cas, entre 4h30/5h et 6h30) et du post-travail (entre 20h et 22h). Il suggère de tenter de « contenir le petit » (traduction littérale), soit toutes les petites tâches qui sont autour de celles qui requièrent notre attention soutenue. Toujours sur ma feuille quadrillée, j’ai fait la liste de toutes les actions (j’essaie de ne pas répéter le mot « tâches ») liées à chacune de mes « missions ». Je l’ai juste fait pour les deux premières, ça m’a donné un genre de vertige, j’ai repoussé la troisième à « plus tard ». L’idée, c’est de répartir « tout ce qu’on fait » en grandes catégories et de parvenir à les séparer des périodes de travail de fond. Il propose aussi de bloquer des périodes de temps pour les « petites tâches » et d’en mettre certaines sur le mode « pilote automatique », soit de les faire au même moment, à chaque semaine, dans le même lieu.
À partir de lundi, je vais « répondre à mes courriels » à tous les jours entre 7h et 7h30 et entre 15h30 et 16h (sauf si j’enseigne jusqu’à 16h30, évidemment). Le reste du temps, je ne vais pas y penser (c’est ça, le but, que cette écharde ne soit plus dans ma tête et que je n’interrompe pas tout ce que je fais constamment pour aller « voir mes courriels ») et je vais également désinstaller les notifications sur mon téléphone. Je vais aussi bloquer des périodes précises et récurrentes à mon agenda pour effectuer mes tâches de fond : préparer mes cours, corriger, etc. Je te reviendrai avec les résultats. J’anticipe de la résistance.
Finalement, la suggestion que je teste depuis déjà trois semaines est de se faire un système mieux s'investir dans nos tâches. Ça peut être sur Word - dans mon cas, c’est dans un cahier au papier pointillé (Leuchtturm1917) – tant que c’est visuellement attrayant. L’objectif est de parvenir à déterminer ce sur quoi on travaille (pull) plutôt que d’y être poussé.e/pressé.e (push) et de limiter le nombre de projets/activités auxquels on doit accorder notre attention.
Il faut donc faire une première liste de tout ce sur quoi on doit travailler, c’est la « holding tank »/le réservoir de ce qui est « en attente ». Puis, ensuite, on choisit trois éléments de cette liste (en fonction des deadlines, de leur importance, de notre intérêt) et on les déplace dans la « active list » pour la période donnée.
À chaque semaine, dans mon carnet, j’écris les dates visées, je fais trois rectangles juste en-dessous et j’y inscris ce sur quoi je vais travailler. Je bloque des périodes à mon agenda pour ces trois tâches/projets/activités. Je ne pense pas au reste. Je ne touche pas au reste. Jusqu’à ce qu’un rectangle se libère.
C’est vraiment intéressant afin de s’aider à être plus concentré.e et engagé.e dans ce qu’on fait. Je me rends compte que je parviens davantage à m’immerger dans la tâche et je ne passe pas mon temps à penser et à stresser à propos de tout ce que je ne fais pas. Ça me libère la tête. Le seul défi jusqu’à présent est que mon esprit a systématiquement envie de travailler sur autre chose que les trois éléments qui se trouvent dans ma liste active, mais je résiste et essaie de défaire des années d’entraînement à « tout faire dans tous les sens ». Je te tiendrai au courant, je pourrais même te montrer une photo de mon carnet. Éventuellement.
Je m’excuse pour la longueur de ce texte.
J’espère que tu y as trouvé un petit quelque chose, matière à réflexion, trucs à essayer. Tu me diras si ça fonctionne ou pas.
Comme c'est difficile, de choisir moins de choses! C'est la double charge qui complexifie le tout; charge mentale familiale et professionnelle. Lorsque celles-ci disparaissent en fin de journée ( Lorsque les enfants sont couchés) il faut alors hiérarchiser les besoins créatifs, pour opter pour ce qui nous dévore,ce qui prime pour la survie du coeur. Dans mon cas, l'écriture ou la lecture. Mais quel dilemme que de devoir choisir où exister dans tous les possibles !
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